Demain sera un autre jour...

“Le bonheur c’est toujours pour demain” chantait Pierre Perret. Demain… quand on sera plus grand, plus riche, plus quelque chose… Quand on aura la maison, la voiture, ou ce truc high-tech qui change la vie, demain quand on sera enfin en week-end, en vacances ou à la retraite.

Demain, ce jour radieux veille d’un autre lendemain. De demain en demain, vient le jour où demain était hier, quand j’étais jeune, quand j’avais la santé, quand je pouvais encore…

Hier et demain sont fait de jours qu’on a ratés ; de bonheurs qu’on n’a pas su voir, d’instants qu’on n’a pas su saisir.
Nous sommes aujourd’hui le “demain” de nos parents et de nos grands-parents. Jamais dans l’histoire de l’humanité la technologie n’a fait autant de progrès en si peu de temps et jamais on a connu autant de mal-être, de morosité, de dépressions, voire de suicides. “Demain” est un aujourd’hui fantasmé, imaginaire, débarrassé de tout effort, de tout obstacle, fait de jouissance et de plaisir : une chimère, c’est-à-dire un monstre. Dans l’antiquité les chimères étaient des monstres mythologiques mi-lion mi-chèvre. Il n’y a pas, en effet de jouissance sans effort et le plaisir nait de l’obstacle surmonté. La joie de la victoire n’existe pas sans le risque de l’échec, sans l’effort de l’obstacle surmonté.

Les machines ont supprimé les corvées mais aussi autant d’occasions de se parler, de rire ensemble, de s’aider : de vivre. Les moyens de communications et les transports modernes ont effacé les distances et on n’a jamais connu autant de solitude. Tout va plus vite et on n’a jamais eu si peu le temps. Tout est devenu insupportable ; il fait trop chaud ou trop froid, il pleut trop ou pas assez.

Il est étonnant de rencontrer la joie de vivre, ou la joie tout court, chez des personnes parfois fort démunies et vivant dans des conditions difficiles, qu’il s’agisse de peuples lointains ou de personnes plus proches. Il est intéressant de s’interroger sur ce paradoxe. Le plus souvent leurs conditions de vie sont telles – climat hostile, lieu inhospitalier, situation sociale défavorisée – qu’il leur paraît inimaginable de les changer et par conséquence ces personnes ne projettent plus leur bonheur dans un autrement illusoire et s’attachent à ce qui est à leur portée, à la réalité du présent : le plaisir de l’eau fraîche quand il fait chaud, d’un feu quand il fait froid, d’un repas partagé quand on a faim, de l’aide d’un ami quand on peine, de la pluie bienfaisante pour irriguer la terre, la qualité des relations avec ses proches. Mineurs de fond du Nord ou de Lorraine, nomades de Sibérie, ou caravaniers du Sahara, mamie de banlieue ou paysan de la montagne, tous ont en commun de savoir vivre dans l’ici et maintenant, de savoir que l’orgueil et l’envie créent la frustration et le malheur ; de savoir qu’il est plus utile de se réjouir de ce qu’on a que de se plaindre de ce qu’on n’a pas.

“Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?” chantait Charles Trenet.

Si c’est vraiment ce que nous voulons, alors il ne dépend que de nous que ce soit ici et maintenant.

Patricia Tintignac

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